Joe Hamman et la naissance du western français en Camargue (3/4)
Extrait de Cowboy blues par Gene Autry
Chez Lux, Monsieur Bourgeois était le metteur en scène officiel. Son premier film fut Le Desperado, tourné dans les carrières d'Arcueil en 1908, suivi de La Main coupée dont l'action se passait dans les bas-fonds de la ville chinoise de San Francisco. Etant alors le seul exécutant dans la catégorie Films d'Aventures, on le mit à toutes les sauces dès que le sujet demandait une action un peu particulière. Il fut tour à tour un mauvais chinois, un chef pirate, un gentilhomme Louis XV sauvant des flots une jeune femme (Marie Laurent) attachée par vengeance à un pieu que la marée montante recouvrait peu à peu (déjà le suspense). Il trouvait son emploi de cow-boy dans un Cow-boy à Paris. Le final de ce film pittoresque lui faisait poursuivre au lasso deux Apaches surpris en train de dévaliser un promeneur sur le Cours la Reine, où, comme par hasard, il se promenait à cheval. Au grand galop, la capture s'effectuait à la sauvette, place de la Concorde, au milieu des voitures. Il était alors interdit d'opérer dans la rue. Prévenu par des passants de cette bagarre insolite et réaliste, le poste de police du Grand Palais détacha deux agents qui verbalisèrent avec d'autant plus de hargne que deux faux collègues, précédemment cachés dans un fiacre pour ne pas attirer l'attention des badauds, et intervenant pour arrêter les délinquants boudinés sur le macadam, étaient accusés d'avoir ridiculisé la profession. Pour la première fois, il parvient enfin à décider la direction à aller tourner les westerns en Camargue, ce qui pour l'époque prenait les proportions d'une expédition en Afrique centrale. Sa chère Camargue avait d'ailleurs fort peu de ressemblance avec l'Ouest américain, mais les grands espaces vierges, la présence de troupeaux de taureaux et de chevaux sauvages étaient tout de même plus spectaculaires que la plaine de Nanterre (alors déserte) ou les bois de Meudon. L'incomparable site du Val d'Enfer aux Baux lui fournit également un décor fantastique rappelant, toutes proportions gardées, les « canyons » de l'Arizona et du Colorado, où l'on était encore bien loin de tourner.Après avoir fait chez « Lux » une quinzaine de films, il fut engagé en 1909 par la « Safety Bioscope », de Londres, pour la série : « Les aventures de Buffalo Bill ». Chez « Gaumont », en 1910, il écrivit six scénarios qui furent tournés en Camargue dans des conditions assez difficiles. Entre deux de ces films Monsieur Feuillade, le directeur artistique, lui demanda un beau jour tout simplement: « Vous pouvez tuer un lion, vous le cow-boy ! » (aucun rapport d'ailleurs...). Enfin, cela rentrait dans la catégorie « Aventures ». Il demanda quelques précisions. La Maison Gaumont avait acheté à la ménagerie Amar un lion coupable de si nombreux méfaits que son propriétaire avait décidé de le faire abattre, lorsqu'il eut l'idée de génie de le vendre à la célèbre firme. Peu maniable, on ne savait pas trop quoi faire de cet encombrant personnage, relégué dans les sous-sols des studio des Buttes-Chaumont, et dont les rugissements empêchaient les voisins de dormir. Il fallait en finir.
Extrait de "Les Indiens de Buffalo Bill et la Camargue" aux Editions de la Martinière